« Traditionnellement, les psychiatres et la psychiatrie ne pensent pas à ce qu'il se passe sous le cou, comme si le corps et le cerveau étaient déconnectés », a lancé la Pr Felice Jacka (Université Deakin, Australie) lors d'une présentation à l'occasion des Journées Neurosciences Psychiatrie Neurologie (JNPN 2023). La pionnière de la psychiatrie nutritionnelle a fait le point sur cette discipline qui tend à accumuler des preuves sur l'impact de l'alimentation sur la santé mentale[1]. Partout dans le monde, les régimes traditionnels, c'est-à-dire sans produits ultratransformés et comprenant d'importantes quantités de végétaux, sont associés à une meilleure santé mentale. Ils diminuent de 30 à 35% le risque de développer une dépression selon une étude de 2018[2]. « C'est une association très forte qui est indépendante du niveau d'éducation, de revenus, de l'IMC », commente la Pr Jacka. Elle a pris soin dans différentes études de vérifier que ce n'était pas la dépression qui entraînait un appauvrissement du régime alimentaire. Ce potentiel de protection contre la dépression est retrouvé chez les plus jeunes pour lesquels il y a une relation dose-réponse entre la qualité de l'alimentation pendant l'adolescence et la vulnérabilité aux troubles mentaux. Là encore, « cette association persiste même quand on prend en compte des facteurs de risque très importants comme l'environnement familial, les conflits familiaux et le statut socio-économique de l'adolescent ». Deux paramètres constituent une « mauvaise alimentation » du point de vue de la santé mentale : ne pas manger suffisamment de bons aliments (végétaux, légumes, fruits, céréales, légumineuses, noix et graines) et au contraire avoir une alimentation comprenant une quantité excessive d'aliments ultra-transformés (AUT). Autrement dit, une bonne santé mentale nécessite du point de vue nutritionnel un régime avec de bons aliments et éviter les AUT. « Les deux sont indépendants l'un de l'autre : si vous avez un bon régime mais que vous mangez une quantité importante d'AUT, ce n'est pas bon. C'est une information importante pour les jeunes qui peuvent avoir une alimentation tout à fait saine à la maison mais pas du tout dès qu'ils sont en dehors du contrôle des parents », précise-t-elle. La consommation d'AUT, « qui peuvent être bons sur le plan nutritionnel mais auxquels on ajoute des colorants, des conservateurs, des édulcorants, des émulsifiants... », est associée à une augmentation du risque de développer une dépression[3].
A la différence de la génétique, des traumatismes de l'enfance ou de la pauvreté, l'alimentation, et l'exercice physique, sont des facteurs de risque modifiables. Différents travaux de recherche montrent non seulement un aspect protecteur d'une alimentation saine mais aussi curatif. « Nous avons réalisé le premier essai clinique randomisé contrôlé dans ce champ avec des patients souffrant de dépressions cliniques modérées à sévères. En plus de leur traitement antidépresseur, ils recevaient soit des conseils alimentaires au cours d'un suivi régulier avec un diététicien soit un soutien social pendant une période de trois mois. » Résultat : 30 % des personnes ayant bénéficié de conseils alimentaires ont eu une rémission clinique complète de leurs symptômes dépressifs, contre 8 % dans le bras de soutien social[4]. Les auteurs d'une méta-analyse publiée en 2019[5], qui a compilé données et résultats de 16 essais randomisés contrôlés ayant inclus au total plus de 45 000 participants, confirment que les interventions diététiques réduisent les symptômes dépressifs. Par ailleurs, ils mettent en évidence que les résultats sont meilleurs lorsque les conseils sont donnés par des professionnels de la nutrition. « On ne peut pas blâmer les individus. Il faut que les politiques prennent en compte le fardeau d'une mauvaise alimentation sur la santé mentale et cérébrale », indique-t-elle. Elle a des raisons d'être optimistes : l'OMS liste maintenant l'alimentation comme facteur de risque de trouble mental et The Royal Australian and New Zealand college of psychiatrists considère depuis 2020 que l'alimentation fait partie des « fondamentaux non négociables » pour la santé mentale. Reste que les médecins sont très mal formés à la nutrition. Une étude récente menée dans 52 pays montre que les psychiatres n'ont pas de formation en nutrition et que lorsqu'ils se risquent à donner des conseils, ceux-ci sont en général sans fondement scientifique[6]
Source Univadis Juillet 2023
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